Triaprocess : rotation et giration font bon mélange

Le 26/05/2011 à 17:31 par La rédaction

Michel Grandjean est l’inventeur du procédé Triaxe et fondateur de la société Triaprocess. Son invention a reçu le coup de cœur du jury, lors du concours de l’innovation du dernier salon IPA. Un succès qui couronne une histoire longue de près de 20 ans.


JDV : Qu’est-ce que le Triaxe ?

Michel Grandjean : Le Triaxe est un mélangeur discontinu dont la particularité réside dans son mouvement généré par une rotation et une giration, c’està- dire une combinaison de deux mouvements de révolution d’une hélice : un mouvement de giration de l’axe principal et un mouvement de rotation du mobile d’agitation. Il produit ainsi un mouvement non systématique c’està- dire que la pale du Triaxe ne repasse jamais au même endroit. Ce procédé garantit le mélange de la totalité du produit contenu dans la cuve sphérique, sans zone morte.

JDV : Quelle est la spécificité du mouvement des pales de ce mélangeur ?

Triaprocess et son inventeur Michel Grandjean ont reçu le prix spécial « coup de coeur du jury » pour le concours de l’innovation IPA 2010.

M.G. : Il reproduit le mouvement de la main remuant un café sucré à l’aide d’une cuillère : la cuillère va jusqu’au fond de la tasse pour récupérer le sucre qui se dissout, le fait remonter à la surface et ainsi de suite. Cette rotation associée à une giration fait décrire à la pale une sphère parfaite. Pour comprendre le mouvement du Triaxe, posez un bol sur la table, de votre main gauche faites-le tourner lentement comme une toupie sur son pivot et de votre main droite animez votre cuillère pour remonter le sucre à la surface du café. Ainsi, vous allez reproduire exactement le mouvement du Triaxe. L’outil est doté de deux, trois ou quatre pales de formes différentes, pleines, ajourées, à couteaux etc., afin de coller au mieux au produit traité. Il opère ainsi un mélange efficace en douceur et sans éclaboussure.

JDV : Pourquoi Triaxe permet-il de faire un bon mélange ?

M.G. : Pour qu’un mélange soit homogène, il faut que les différents constituants soient en mouvement. Cette mobilité du mélange est essentiellement due aux mécanismes de convection, de cisaillement et de diffusion, qui sont le résultat des propriétés des particules, du milieu, mais aussi des possibilités technologiques des appareils de mélange. Les mélangeurs actuels sont souvent basés sur un mouvement d’agitation très systématique et ne balayant pas tout le volume à mélanger. Ceci génère des zones mortes et des surfaces libres importantes qui sont propices aux phénomènes de ségrégation. De plus, ils ont en général été développés pour convenir à un cas particulier de mélange. Il n’existe pas de mélangeur universel dont la polyvalence permettrait de mélanger la plupart des produits. Le Triaxe quant à lui permet d’éviter ces zones mortes et la possibilité de modification des vitesses du procédé permet d’adapter les conditions d’écoulement au produit afin d’atteindre le résultat souhaité.

JDV : Comment avez-vous eu l’idée de ce double mouvement à la base du Triaxe ?

Présentation du Triaxe sur le stand de Triaprocess lors du dernier salon IPA 2010.

M.G. : En 1992, je travaillais pour un bureau d’étude et nous accompagnions une société de production de confiture. En fin de process, l’équipe de production avait de gros souci d’homogénéité du mélange, entre la phase visqueuse sucrée et les morceaux de fruits solides. C’était un fabricant qui n’utilisait pas d’additifs et souhaitait une confiture naturelle, sans adjuvant, pectine ou autre conservateurs. Il voulait obtenir une confiture avec de beaux morceaux de fruits, notamment des fraises coupées en deux. Le procédé de mélange ne devait pas dénaturer la structure de ces fruits. Ce fut un vrai défi, j’y ai travaillé pendant 2 ans. Aucune des solutions disponibles sur le marché n’était alors satisfaisante : une grande partie des mélangeurs existants fonctionne avec un axe qui tourne soit en rotation, soit en rotation planétaire, dans des cuves cylindriques, coniques ou tronconiques. Autour de ces axes sont fixés des outils de mélange de formes plus ou moins différentes, par exemple : en forme de socs, forme hélicoïdale, forme de ruban et bien d’autres encore, mais tous sur le même principe d’agitation qui ne pouvait satisfaire le besoin de qualité de cet industriel.

JDV : Quelles ont été les phases du développement du Triaxe ?

M.G. : Dans un premier temps, il y avait besoin de beaucoup de main-d’oeuvre. Avant la mise en pot, au niveau de la trémie de dosage, une ouvrière poussait, à l’aide d’une grande écumoire, les fruits dans la confiture chaude. Elle devait s’assurer visuellement de la qualité du mélange et le geste était physiquement éprouvant. C’est son geste qui a inspiré le premier modèle de mélangeur. Il consistait en une palette activée par un vérin pneumatique passant de la position horizontale à la position verticale pendant qu’elle descendait et remontait dans la cuve de confiture. Le système fonctionnait, mais au bout de quelques mois, le vérin avait tendance à se bloquer à cause de la cristallisation du sucre, ayant pour effet que la palette donne une grande claque dans la confiture à 85 °C, générant des éclaboussures dangereuses.

JDV : C’est là qu’est né le Triaxe et ses deux mouvements associés ?

Le laboratoire du Centre de Recherche en génie des Procédés des Solides Divisés, de l’Energie et de l’Environnement de l’École des Mines d’Albi-Carmaux dispose d’un Triaxe d’un volume de 50 l.
Le laboratoire du Centre de Recherche en génie des Procédés des Solides Divisés, de l’Energie et de l’Environnement de l’École des Mines d’Albi-Carmaux dispose d’un Triaxe d’un volume de 50 l.

M.G. : J’ai abandonné le vérin et adopté le système de giration via une roue dotée de pales dont l’inclinaison pouvait varier de 45 °. J’ai d’abord construit une maquette de cet agitateur avec 1 seul moteur à 2 mouvements proportionnels. Là j’ai constaté avec étonnement que le mouvement de giration généré était lent, ce qui respectait parfaitement le besoin technique de protection de la structure des fruits délicats. En plus, ce mouvement avait pour effet de maintenir à la surface de la confiture l’écume qui se forme naturellement pendant la cuisson et qui entraîne les impuretés de la confiture. Cette écume était jusqu’alors automatiquement remélangée dans la confiture, cette fois on pouvait l’ôter facilement. D’un point de vue industriel, le système présentait l’avantage d’être très facile à nettoyer et de fonctionner sans bruit. D’ailleurs, l’équipement d’origine est toujours en fonctionnement dans cette usine de confiture.

JDV : Qu’en était-il à ce stade de la propriété industrielle de ce procédé ?

M.G. : J’avais développé ce procédé à titre privé au sein du bureau d’étude qui m’employait. Devant l’intérêt de ce pilote, j’ai demandé à cette entreprise la confidentialité autour de cette technologie. En 1999, quand j’ai changé de bureau d’étude, j’ai présenté le process à d’autres personnes qui m’ont encouragé à le développer vers d’autres industries, notamment l’industrie pharmaceutique et médicale. Avec l’aide du laboratoire Archimex, à Vannes, j’ai pu analyser le procédé sur les farines diététiques, passant des liquides visqueux aux poudres grasses. Les analyses ont prouvé la régularité du mélange et validé l’intérêt de cette technique inédite. À ce stade, j’ai protégé le procédé par une enveloppe Solo, le niveau le plus simple de protection juridique. Le premier brevet a été déposé en 1998, à titre privé toujours, alors que j’étais responsable d’un bureau d’étude au sein d’une entreprise de Seine-et-Marne. Pendant 6 ans, cette société qui m’employait a financé les brevets, dont je payais les taxes, moyennant un contrat de licence qui a permis le développement industriel du Triaxe, avec l’aide des financements Oseo-Anvar.

JDV : Aujourd’hui comment se compose la gamme Triaxe ?

M.G. : L’essentiel du développement se fait à façon, selon les spécificités et les exigences du client. Les modèles standards se placent dans une cuve pour réaliser mélanges, dispersions, agitations et émulsions de volumes allant de 10 à 270 l. Les modèles Premium sont, eux, des modèles complets assurant les mélanges, agitations, dispersions, granulations, l’enrobage et même des émulsions. Leur cuve sphérique permet de travailler sous vide ou sous pression (simple ou double enveloppe) et les volumes de cuves vont de 10 à 798 l.

JDV : La granulation est la dernière avancée technologique sur le procédé Triaxe ?

M.G. : Le principe de granulation reprend le coeur du procédé de mélange Triaxe, auquel se rajoute un système de mouillage par pulvérisation qui se désaxe en giration afin d’affecter le produit mais pas la paroi de la cuve, ni les pales, ce qui garantit l’absence de mottage, cause de bien des soucis de granulation. Le procédé de granulation est basé sur l’effet de fluidisation générée par le procédé de mélange. Le résultat se positionne entre une granulation mécanique et une granulation à lit fluidisée avec des particules sphériques et très floconneuses, de très belle qualité. Cette technologie est privilégiée pour résoudre les problématiques de coulabilité et de précision des mélanges.

JDV : Quelles sont les cautions scientifiques qui valident le procédé Triaxe ?

Les deux modèles Triaxe, Standard et Premium Process

M.G. : Après le laboratoire d’Archimex, plusieurs universités et instituts techniques ont étudié le Triaxe : l’Université de technologie de Compiègne (UTC) puis l’Inra de Villeneuve d’Asq et l’école des Mines d’Albi. Jean-François Demeyre, du laboratoire de génie des procédés des solides divisés, UMR CNRS 2392 de l’école des Mines d’Albi-Carmaux a effectué sa thèse sur le fonctionnement du mélangeur Triaxe sur des milieux granulaires à écoulement libre et cohésif. Guillaume Delaplace, chercheur au laboratoire de génie des procédés et technologie alimentaires (LGPTA) de l’Inra a étudié les processus de mélange du Triaxe en milieux visqueux grâce à une réaction colorimétrique dans un mélange transparent filmé à l’aide d’une caméra placée en paroi de la cuve.

JDV : Quels sont en résumé les principaux avantages concurrentiels du Triaxe en tant qu’équipement de mélange-enrobage- granulation ?

M.G. : Les temps de mélanges sont très courts par rapport aux systèmes actuels, surtout pour des mélanges intimes avec des poudres cohésives. De plus, le Triaxe consomme une très faible quantité d’énergie, tout en ayant une grande efficacité de mélange dans les liquides visqueux et les poudres. Selon les cas, le Triaxe consomme entre 4 et 10 fois moins d’énergie qu’un mélangeur classique car son mouvement est lent, de l’ordre de 90 tours/min au maximum, mais le mouvement linéaire mesuré en bout de pale est de 132 m/min. Ces éléments font de Triaxe une machine rentable, polyvalente et évolutive. Ses coûts de maintenance sont presque nuls ; son nettoyage simple et efficace complète ses atouts.

JDV : Quels sont les domaines d’application de cette technologie ?

M.G. : Tous les secteurs qui mélangent, enrobent et granulent. Bien sûr l’agroalimentaire, notamment pour les recettes particulièrement exigeantes comme les mousses ou les pâtes texturées, les mélanges avec des constituants liquides/solides. Mais aussi l’industrie chimique et pharmaceutique pour qui l’homogénéité de mélange est primordiale, l’industrie des ciments ou des matières plastiques qui sont très exigeantes sur les spécifications et propriétés d’usage de leurs produits, etc.

JDV : Aujourd’hui, la société Triaprocess commercialise le Triaxe. Quelle est son organisation ?

M.G. : Après deux années d’incubation, Triaprocess a été créée en 2009 et propose aujourd’hui l’ingénierie, la conception et la réalisation de machines spéciales, dont le Triaxe, sur cahier des charges. Pour le développement de celui-ci, l’objectif de l’équipe de Triaprocess est d’accompagner ses clients jusqu’à l’obtention précise du mélange souhaité et de proposer un équipement parfaitement adapté à leurs besoins. Pour cela, Triaprocess réalise des essais jusqu’à obtention du bon résultat de mélange, d’enrobage ou de granulation, puis rédige un cahier des charges du modèle et de son intégration dans la chaîne de production.

JDV : Que représente pour Triaprocess cette distinction du jury du concours de l’innovation de l’IPA ?

M.G. : L’obtention de cette mention du jury d’IPA donne un vrai coup d’accélérateur au développement du Triaxe. Mon seul objectif est de faire vivre cette invention dans le monde de l’industrie, via Triaprocess ou via d’autres industriels qui souhaiterait le développer. Je ne considère pas que cette technologie m’appartient. En guise de conclusion, je dirais qu’il ne faut jamais baisser les bras. L’invention mécanique est toujours possible, même dans notre monde qui semble dominé voire parfois étouffé par l’informatique. La matière grise reste l’exclusivité de l’homme.

Propos recueillis par Françoise Foucher, interview paru dans Le Journal du Vrac n°77, Janvier/février 2011

Les avantages du triaxe

Respect de la structure du produit
. Temps de mélange très courts
. Faible consommation d’énergie
. Maîtrise du mouvement
. Pas de racleur donc pas de pollution
. Nettoyage simple et facile
. 100% du produit mélangé
. Maîtrise de la granulométrie
. Pas d’incorporation d’air pour les visqueux