Expertise Ineris n°1
Caractériser ses substances : une étape primordiale dans l’analyse des risques ATEX

Le 13/10/2022 à 15:52 par La rédaction

Vers 0h50, le 14 novembre 2014, une explosion puis un incendie se déclarent dans une usine de travail mécanique de métaux*. Cette explosion se produit au niveau d'un aspirateur alors qu'un employé vidange manuellement une trémie contenant des poussières métalliques en les aspirant. La production est arrêtée, l'incendie fait un blessé par brûlure. L'explosion a eu lieu dans l'aspirateur pourtant certifié ATEX et ayant subi une opération de maintenance moins de deux mois auparavant. Plusieurs questions se posent alors : l'aspirateur utilisé était-il vraiment adéquat ? Comment savoir si le matériel est adapté aux substances mises en œuvre ?

Pour répondre à ces questions, la meilleure option est de réaliser une caractérisation de la substance. En d’autres termes, il s’agit d’effectuer une batterie d’essais sur la substance afin de connaître ses caractéristiques d’inflammabilité et d’explosivité. Quels sont ces essais ? Quelles sont les grandeurs à regarder et que signifient-elles pour le procédé ? Nous tenterons de répondre à ces questions dans cet article en présentant les principales caractéristiques d’inflammabilité et d’explosivité.

Pour rappel, les ingrédients nécessaires à l’obtention d’une explosion de poussière sont la présence simultanée d’un comburant (l’air), d’un combustible (la poussière), d’une énergie (flamme, chaleur, électricité statique, etc.), d’un domaine d’explosivité (une quantité minimale de produit) et une mise en suspension.

La granulométrie et le taux d’humidité

Fondamentaux lors d’une caractérisation de poussières, ces deux paramètres doivent être connus lorsque l’on cherche à connaître une pression maximale d’explosion : il s’agit d’une exigence normative.

Au-delà, la granulométrie permet de connaître la proportion de fines présentes dans l’échantillon. Les fines, sont les particules de poussières dont la granulométrie est inférieure ou égale à 500 μm. À partir de 500 μm, on considère que les particules sont suffisamment fines pour exploser et générer une atmosphère explosive. En connaissant la proportion de fines dans l’échantillon, on peut avoir une meilleure idée du caractère explosif de l’échantillon : des particules fines présentes dans une large proportion de particules plus grossières auront plus de difficulté à être mises en suspension et donc de générer une atmosphère explosive. À l’inverse, si l’échantillon est constitué presque exclusivement de particules fines, leur mise en suspension en sera facilitée et donc le potentiel explosif plus grand.
Couplée à une mesure de résistivité volumique**, la granulométrie permet également de classer la substance testée dans l’une des trois catégories : IIIA, IIIB ou IIIC. Cette information est primordiale pour le choix du matériel ATEX. Le taux d’humidité permet de savoir si un échantillon est humide ou non. Une poussière sèche se mettra plus facilement en suspension et aura une plus grande sensibilité aux phénomènes électrostatiques. Un échantillon plus humide adhérera davantage aux surfaces et aura plus de mal à être mis en suspension.

La concentration minimale d’explosivité

La concentration minimale d'explosivité (CME) correspond à la plus petite quantité de matière nécessaire à l'obtention d'une explosion. On considère qu'il y a explosion si la surpression, enregistrée à l'intérieur du dispositif d'essais (sphère de 20 litres) dépasse la valeur seuil de 0,5 bar. La mesure de la concentration minimale d'explosion correspond à la limite pour laquelle la concentration minimale de poussière dans l'air ne produira pas d'explosion. Contrairement aux vapeurs et gaz inflammables, il n'existe pas de concentration supérieure d'explosivité, c'est-à-dire de concentration à partir de laquelle le milieu est trop riche en combustible pour générer une explosion. Le schéma ci-dessous représente le domaine d'explosivité d'une poussière. Par exemple, la CME de la farine est de 30 g/m3. Cela représente environ une cuillère à soupe de produit.

CME

La pression maximale d’explosion et le coefficient de violence d’explosion

Cet essai est réalisé en sphère de 20 litres. La mesure réalisée consiste à enregistrer la montée en pression en fonction du temps. On en déduit la surpression maximale d'explosion (Pmax) et la vitesse maximale de montée en pression (dP/dt)max.

On injecte une quantité de produit grâce à de l’air comprimé dans la sphère. Le produit est alors dispersé dans la chambre initialement placée sous vide. Dans la sphère, un inflammateur de 10 kJ se déclenche et tente d’enflammer la substance en suspension. L’essai est répété en faisant varier la quantité de produit. On note une concentration optimale de poussières dans le nuage pour laquelle la valeur de montée en pression (dP/dt)max est maximale. À partir de cette donnée, on obtient le coefficient de violence d’explosion (Kst). On peut alors classer la poussière selon trois classes d’explosions. Les pressions maximales d’explosion renseignent donc sur la surpression maximale qu’une substance pourrait engendrer lors de l’explosion. Le sucre a, par exemple, une Pmax de 8 bars. Quand on sait que 2 bars de surpression suffisent à entraîner une mort immédiate, une telle pression est très dangereuse !

Ces données sont fondamentales pour le dimensionnement d’équipement de protection contre les explosions. Un évent d’explosion par exemple est un dispositif permettant la décharge d’une éventuelle explosion vers une zone exempte de personnel et de matériel. Son dimensionnement se fait avec la Pmax et le Kst de la poussière.

JDV 146 - INERIS - Tableau 1

L’énergie minimale d’inflammation

L'énergie minimale d'inflammation (EMI) est l'énergie minimale à partir de laquelle une inflammation est observée. Elle s'exprime en millijoules et renseigne sur la sensibilité de la substance au phénomène électrostatique. La poudre de lait a, par exemple, une EMI inférieure à 30 mJ. Pour mieux se représenter ces énergies, nous proposons un schéma explicatif des sensations provoquées par une décharge d'électricité statique en fonction de son énergie. Les EMI de différentes substances y sont représentées. Ainsi, une décharge non perceptible par l'être humain suf t largement à en ammer un mélange d'air et d'hydrogène. Dans notre exemple, une décharge clairement ressentie telle que celle que l'on peut ressentir lorsque l'on enlève son pull ou touche une surface métallique chargée, suf t à en ammer une ATEX constituée de poudre de lait.

La sensibilité d'une poussière aux phénomènes électrostatiques est fonction de la valeur de son EMI. Le tableau ci-dessous permet de classer une substance selon sa sensibilité. Les actions à prendre en compte seront alors différentes selon la sensibilité de l'échantillon aux phénomènes électrostatiques.

JDV 146 - INERIS - Tableau 2

La température minimale d’inflammation en couche et en nuage

La température minimale d'inflammation en couche est la température minimale d'une surface chaude pour laquelle l'inflammation se produit dans une couche d'épaisseur donnée (en général 5 mm), déposée sur cette surface chaude. L'inflammation est considérée comme s'étant produite si au cours de l'essai :

  • un rougeoiement ou une flamme sont observés au niveau du produit,
  • ou on mesure une température supérieure ou égale à 450 °C,
  • ou un accroissement de température supérieur ou égal à 250K par rapport à la température de la surface chaude est mesuré.
Le dispositif d’essai est relativement simple et est constitué d’une plaque métallique chauffée électriquement. L’essai est poursuivi jusqu’à vérification, visuelle ou par enregistrement du thermocouple, que la couche s’est bien enflammée ou qu’elle s’est auto-échauffée sans s’enflammer, et s’est par conséquent refroidie.
La température minimale d’inflammation en nuage est la température minimale pour laquelle l’inflammation se produit dans un nuage de poussière air/poussière. La démarche consiste à mettre en suspension la poussière au contact de la paroi du four chauffé et à constater l’inflammation ou non de la poussière. Plusieurs tentatives sont nécessaires pour un test complet sur une poussière, en faisant varier les principaux paramètres de contrôle de l’inflammation tels que la température du four et la masse de poussière testée. Une inflammation a lieu lorsqu’un jet de flamme est observé, au niveau du miroir et au-delà de l’extrémité inférieure du tube du four. Un délai d’inflammation est acceptable. Des étincelles sans flamme ne constituent pas une inflammation.
 
Ces valeurs sont essentielles pour le matériel installé sur le site. En effet, la température maximale de surface du matériel ne doit pas dépasser deux tiers de la température minimale d’inflammation (en degrés Celsuis) du nuage air/poussière considéré ou la température minimale d’inflammation en couche 5 mm moins 75 K.

ES schéma

L’analyse thermique différentielle et l’analyse thermique gravimétrique

L’analyse thermique différentielle (ATD) et l’analyse thermique gravimétrique (ATG) permettent l’étude simultanée des comportements thermodynamiques des matériaux. Le principe de l’ATD consiste à suivre l’évolution de la différence de température (∆T) entre l’échantillon étudié et une référence inerte, c’est-à-dire dépourvu d’effets thermiques dans le domaine de température étudié. L’ATG permet de mesurer les variations de masse (∆m) d’un échantillon au cours de son chauffage.

Les valeurs de température de la substance de référence au début de l’emballement d’une réaction d’oxydation permettent de :

  • définir le danger du produit testé vis-à-vis du risque d’auto-échauffement,
  • hiérarchiser l’oxy-réactivité de différents échantillons afin de procéder à des essais complémentaires sur l’échantillon représentant le plus de risque d’auto-échauffement.

Il existe bien sûr d’autres essais mais nous avons présenté ici les essais les plus classiques et permettant de dimensionner au mieux les ATEX et équipements en contact avec une substance présentant une inflammabilité et une explosivité. Il faut garder à l’esprit que la caractérisation d’un produit est la première étape de l’analyse de risque. Une bonne connaissance du produit permet une meilleure analyse. Elle permet de connaître les principales caractéristiques de la poussière testée, de dimensionner au mieux les atmosphères explosives et de choisir les équipements ATEX et de protection adéquats.

*Explosion puis feu d'un aspirateur à poussières métallique - La référence du retour d'expérience sur accidents technologiques (developpement-durable.gouv.fr)

**La valeur de la résistivité permet de définir si la poussière testée est conductrice (résistivité 103 .m) ou non conductrice (résistivité 103 .m).