Stocker du vrac en boudin : est-ce l’avenir ?

Le 31/08/2020 à 9:36 par La rédaction

Alors que la technique du stockage de céréales en gaines plastiques est très répandue en Amérique du Sud, l’Europe semble être en retard. Cette solution, qui allie souplesse et accessibilité, a pourtant de beaux avantages à apporter aux organismes stockeurs. François Dufraisse, gérant de CGAO, société spécialisée dans l’enrubannage en continu et la mise en boudin de céréales en France, nous éclaire sur le sujet.

 

François Dufraisse, dirigeant de la société CGAO.

La technique du stockage en boudin est-elle nouvelle ?

François Dufraisse : CGAO, société située à Saint-Priest Les Fougères, entre Périgueux et Limoges, a commencé dès 1994 en proposant en France des enrubanneuses en continu, sous la marque Baudouin. Au début des années 2000, nous nous sommes intéressés à la technique de stockage de céréales en gaines plastiques. D’abord, nous avons proposé une machine dédiée aux éleveurs de ruminants pour le stockage en boudin de céréales secs ou humides avec aplatisseur. Cette solution permettait de transformer et de stocker les céréales, et donc gagner en autonomie et limiter les achats extérieurs. Nos équipements ont connu un franc succès dans les années 2000, et nous avons aujourd’hui plusieurs centaines de machines de ce type en fonctionnement en France. Parallèlement, nous avons tenté de développer avec les mêmes fournisseurs de matériels et de consommables une solution pour les organismes stockeurs, sans aplatisseurs. Afin de proposer une solution parfaitement adaptée, nous avions confié l’une de nos machines à l’INRA afin qu’elle puisse réaliser des essais et valider l’intérêt de la technique au sein de sa station d’expérimentation. L’INRA avait validé les essais et nous avions, en 2003, tenté la commercialisation de cette solution en s’adressant aux coopératives, aux négociants, ou céréaliers et autres organismes stockeurs. Contrairement à la machine dédiée aux éleveurs, nous avons connu à cette époque un échec commercial, les organismes stockeurs ayant déjà les capacités nécessaires pour stocker les moissons ou les importations.

 

Pourquoi les industriels y trouvent-ils un nouvel intérêt aujourd’hui ?

F. D. : Après avoir tenté d’étendre la technique aux industriels, nous l’avions mise de côté jusqu’à il y a environ trois ans. Nous avons en effet choisi de la proposer à nouveau sur le marché, pour deux raisons : l’émergence du bio et l’aspect réglementaire. D’abord, avec le développement des cultures bio, les organismes stockeurs sont de plus en plus confrontés à une multiplication des lots à stocker. Dans certains cas, les installations ne sont pas adaptées pour stocker de petits lots. Elles manquent de souplesses pour s’adapter aux classifications des céréales : bio ou pas bio, gluten ou pas gluten, OGM ou pas OGM, etc. Par exemple, là où en 2000 une cellule de blé pouvait suffire à tout stocker, aujourd’hui, on se retrouve avec au moins dix références pour le blé. La technique du stockage en boudin répond parfaitement à la mise en place de différents lots. Ensuite, en 2016, un décret gouvernemental a mis en place les Certificats d’Économie de Produits Phytosanitaires (CEPP), qui demandent à tous les organismes stockeurs de baisser de 20 % l’utilisation des produits chimiques, notamment pour la conservation des céréales. Les CEPP imposent une obligation de résultat au 1er janvier 2021, mais les organismes stockeurs ne semblent pas avoir enclenché le processus alors que l’échéance est dans près de six mois. Ici, l’intérêt de la technique de stockage en gaines plastiques est que les parasites sont détruits naturellement, sans utilisation d’insecticides, la semaine suivant la mise en boudin. C’est un réel avantage dans la filière bio. Nous avons relancé la technique en France il y a près de trois ans et les perspectives sont très intéressantes.

 

Le stockage en gaines plastiques apporte un maximum de souplesse aux organismes stockeurs.

Concrètement, dans quels cas les organismes stockeurs pourraient-ils utiliser cette technique ?

F. D. : La société CGAO est, de par son histoire, très tournée vers le monde agricole. Mais nous avons bien évidemment des liens directs avec les industriels du vrac, et plus particulièrement les organismes stockeurs. Ces derniers peuvent trouver un intérêt dans nos solutions lorsqu’ils veulent développer une activité bio, ou encore lorsqu’ils se trouvent avec des structures vieillissantes et pour lesquelles ils doivent réaliser des mises aux normes trop importantes. Ils préfèrent parfois changer de techniques plutôt que d’investir dans de nouvelles structures. Il peut également s’agir du développement d’un nouveau service : les organismes stockeurs peuvent par exemple proposer à leurs adhérents des solutions de stockage plus accessibles, avec une implantation du lieu de stockage très souple. D’autres orga-nismes stockeurs peuvent aussi voir cette solution comme un système permettant simplement le nettoyage du grain : certains de nos clients voient uniquement l’aspect destruction des parasites de manière propre, sans même parler de stockage. Aussi, via les retours que nous avons pu avoir, nous savons que cette technique peut être utilisée par des industriels non agricoles, non céréaliers, par exemple pour le stockage de différents produits : arachides, noisettes, fèves, petits pois, etc. La solution peut également intéresser d’autres industriels pour le stockage produits comme les pellets de bois ou même de produits chimiques. Nous ne nous interdisons pas de proposer cette technique à d’autres organismes spécialisés hors céréales.

 

L’extracteur permet de vider un camion et mettre sous gaine 30 tonnes de céréales en dix minutes.

Quelles sont les conditions à rassembler pour que le stockage en boudin soit techniquement possible ?

F. D. : La solution que nous proposons chez CGAO offre l’avantage d’avoir un débit important. Les machines pour le boudinage peuvent atteindre des débits allant de 150 à 300 tonnes par heure lors de la mise en boudins. Aujourd’hui, il existe deux techniques pour alimenter la boudineuse. La première consiste à utiliser des transbordeurs, mais ils sont très peu développés en France. La seconde consiste à coupler une trémie à un extracteur pour recevoir le grain de n’importe quelle benne routière ou agricole. Parallèlement, il est important de prendre quelques précautions pour stocker le vrac industriel. L’une des conditions sine qua none est par exemple le stockage sur un terrain plat et dur. Autrement dit, le sol doit être goudronné, bétonné ou en pierre. L’objectif est d’éviter les attaques de rongeurs, mais aussi de travailler dans de bonnes conditions. Ainsi, les semi-remorques peuvent circuler sans problème, sans problématiques liées à de la boue par exemple. Enfin, pour limiter les attaques de gibiers ou le vandalisme, il est conseillé de clôturer le site où seront stockés les boudins.

 

Mise en route d’une boudineuse pour le stockage de céréales avec un extracteur Akron, le 4 juin 2020 à la coopérative la Tricherie, dans la Vienne.

Selon vous, cette solution est-elle accessible au plus grand nombre ?

F. D. : Il est évident que si le client n’a que quelques dizaines de tonnes à stocker, la solution ne sera pas adaptée car elle serait surdimensionnée. Cependant, si les besoins de stockage sont d’au moins ou plus de 1 000 tonnes, l’amortissement serait tout à fait justifié. La solution répond donc aux besoins des organismes stockeurs. L’investissement comprend obligatoirement deux matériels : une boudineuse et un extracteur, nécessaire pour reprendre facilement et rapidement le produit stocké. Il faut aussi savoir qu’il s’agit là d’un équipement très simple, avec un fonctionnement mécanique ou hydraulique qui ne demande que très peu d’entretien et qui ne génère, au maximum, que quelques centaines d’euros de maintenance sur une dizaine d’années.

 

Stockage en boudins au dépôt de Saint Antoine Cumond (24) de la SCAR.

Diriez-vous que l’Europe est en retard par rapport à d’autres régions du monde ?

F. D. : Elle est en retard car elle était en avance ! L’Europe, et plus particulièrement l’Allemagne, la France, l’Espagne et l’Italie, avaient des structures en dur adaptées à la production européenne depuis une cinquantaine d’années. Ils n’avaient alors pas de besoins particuliers. C’est pour cette raison que la technique s’est d’abord développée dans des pays « jeunes », comme l’Argentine, l’Uruguay ou le Brésil : ils n’avaient que très peu de structures en dur pour gérer des moissons très importantes. Aussi, ces pays ont rapidement adopté la solution puisqu’elle permettait de désengorger les quelques ports dédiés à l’exportation de céréales, à l’image de Buenos Aires. Dans le reste du monde, la technique s’est vite développée, par exemple au Canada, aux États-Unis, en Australie ou encore en Russie, là où les distances entre les cultures et l’implantation des organismes stockeurs sont bien plus importantes qu’en Europe. La Chine et l’Inde commencent également à utiliser le stockage en gaines plastiques pour le stockage du riz. Aujourd’hui, l’une de nos forces est de travailler avec des précurseurs situés en Argentine, qui bénéficient de plus de vingt-cinq ans d’expérience.

 

Simplicité, vitesse et économie sont les atouts de la solution de CGAO.

Comment percevez-vous l’avenir du stockage en boudin en France ?

F. D. : Nous constatons en France un frein au changement puisqu’on utilise depuis quarante ou cinquante ans le même système. Changer de système de stockage implique donc une certaine ouverture d’esprit, ou alors il faut être contraint de le faire. Nous avons commencé à contacter les organismes stockeurs, qui n’ont pas toujours les connaissances de ces équipements, et des équipements agricoles en général. Ce que nous voyons transparaître aujourd’hui sont des céréaliers qui vont prochainement s’équiper pour éviter les contraintes administratives, qui peuvent être liées à des permis de construire trop longs ou à des investissements trop lourds. En ce qui concerne l’avenir de la technique chez les industriels non agricoles et non céréaliers, c’est pour nous un grand point d’interrogation, mais aussi une piste que nous allons explorer. Nous restons persuadés que la souplesse et l’avantage de coûts qu’elle apporte devraient intéresser. Au regard des succès enregistrés ces dernières années, nous sommes très optimistes sur un développement rapide et important de la technique en France. Il s’agit à notre sens d’une révolution. Selon moi, la technique de mise en boudin est à l’agriculture ce que le conteneur a été au transport maritime. Cette révolution sera-t-elle lente ou rapide ? L’avenir nous le dira ! En attendant, nous mettons toute notre énergie et notre passion au service de cette technique de stockage.

 


SODEPAC TÉMOIGNE

Le négociant SODEPAC a investi dans un Silograin Zéro Énergie et un extracteur Akron venus par CGAO en 2019. Il a stocké près de 4 000 tonnes en boudin en 2019, et son objectif pour 2020 est de stocker de 8 000 à 10 000 tonnes. Denis Huré, le P.D.-G. de SODEPAC, témoigne : « Notre problématique de départ était liée à un manque de capacité de stockage par rapport à un surplus de volume. La solution de CGAO nous a séduits par ses avantages : rapidité de mise en œuvre, aucun traitement contre les insectes avant la mise en boudin, flexibilité pour le stockage de grain bio, aucune déclaration administrative à réaliser. Nous avions quelques doutes sur la qualité finale du stockage, mais en pratique, la mise en œuvre est rapide et nous n’avons eu aucun problème de conservation. Cependant, la technique nécessite une personne dédiée et formée. »