Pourquoi et comment la norme NF EN 620 a-t-elle été révisée ?

Le 30/11/2021 à 12:30 par La rédaction

La norme NF EN 620, publiée pour la première fois en 2002 puis amendée en 2011, apporte aux constructeurs une présomption de conformité par rapport à la Directive 2006/42/CE, dite directive « Machines ». Cependant, du fait de son antériorité, elle  n’était pas suffisamment adaptée à la sécurité des convoyeurs dans les métiers du vrac et a donc fait l’objet d’une révision : la nouvelle norme NF EN 620:2021 est publiée depuis octobre 2021. Nous avons demandé à Emmanuel Deparis, responsable technique chez Evolis, et René Brunone, dirigeant de la société Brunone très investi dans la démarche, de nous décrypter les travaux effectués.

 

Maintenance = grille retirée - angles rentrants = danger.

Les convoyeurs développés pour les métiers du vrac comportent, de par leur conception, un certain nombre de zones dangereuses qu’il est important de protéger. Les angles rentrants peuvent être à l’origine d’accidents graves pour les opérateurs de production et de maintenance qui auraient pris la décision d’intervenir sur un convoyeur en mouvement, par exemple pour éliminer une accumulation de matière. René Brunone déclare : « Les convoyeurs ont une puissance telle qu’ils ne s’arrêtent pas lorsqu’un opérateur est happé. Le risque d’avoir un membre arraché ou de perdre la vie est alors très élevé (les statistiques le démontrent clairement). Un convoyeur pourrait paraître totalement inoffensif du fait de sa vitesse lente, mais les accidents peuvent aussi survenir lorsqu’une bande tourne à 1 m/s. » La norme NF EN 620 vise à garantir la sécurité et la santé des travailleurs en exigeant l’intégration de protections adaptées dans les convoyeurs à courroie dédiés aux applications vrac.

 

Les objectifs de la norme

Afin d’assurer la mise sur le marché des machines sans compromettre la sécurité et la santé des travailleurs, le responsable de la mise sur le marché a l’obligation de respecter les règles techniques de conception prévues par le code du travail (article R. 4312-1 et Annexe 1) issues de la transposition des exigences essentielles de santé et de sécurité énumérées dans la directive européenne dite « Machines » (Directive 2006/42/CE). Ces exigences ont pour but de permettre la libre circulation des équipements dans l’Union européenne tout en garantissant un niveau élevé et homogène de sécurité. Le marquage CE apposé sur les machines engage la responsabilité du fabricant, ou son mandataire, sur le respect des exigences essentielles de santé et de sécurité (EESS) et des procédures définies dans la directive « Machines ». L’objectif premier de la norme NF EN 620 est d’apporter des prescriptions techniques destinées à réduire au minimum les phénomènes dangereux pouvant survenir pendant toute la durée de vie de la machine (sa construction, son utilisation, son entretien, y compris sa déconstruction) . Elle concerne également les équipements auxiliaires, notamment les trémies, chariots verseurs et goulottes.

 

Illustration du rôle d'une protection rapprochée.

Une norme inadaptée aux métiers du vrac

L’ancienne norme datait de 2002 et s’est rapidement révélée être inadaptée pour les convoyeurs utilisés dans le transport de produits en vrac. Emmanuel Deparis explique : « En 19 ans, le ministère du Travail a constaté que les accidents restaient bien trop nombreux dans les métiers du vrac : les experts techniques ont donc choisi d’axer leur travail sur l’amélioration de la sécurité des convoyeurs, à l’origine de nombreux accidents graves ou mortels. » René Brunone, quant à lui, constate : « La norme de 2002 a été étudiée plutôt par des industriels de la manutention que par des professionnels du vrac. Ce domaine implique notamment des problèmes de salissure et de nettoyage qu’on ne retrouve pas dans d’autres secteurs. Ce qui avait été imaginé à l’époque n’était tout simplement pas concevable dans l’industrie du vrac, malgré l’intégration de la notion de sécurité rapprochée dans les textes. »

 

Matelas de réception SPARMAT développé par Brunone.

Bannir au maximum les carters

La société Brunone, acteur majeur dans le domaine de la sécurité des convoyeurs depuis 1987, est très attentive au marché. Elle cherche à comprendre les besoins afin de développer des solutions innovantes et fiables pour la protection des opérateurs face à des convoyeurs. René Brunone explique : « Nous avons pu constater que les accidents étaient fréquents dans les milieux carriers qui équipaient leurs convoyeurs de grille de sécurité. Lorsqu’un opérateur intervient sur un convoyeur pas toujours à l’arrêt, il commence par démonter la grille puis la pose au pied du convoyeur sans forcément la remonter en fin d’intervention (par oubli, par manque de temps pour des raisons de productivité, par nécessité de régler un déport de bande, etc.). Autrement  dit, elle ne sert strictement à rien ! La majorité des accidents sont liés au retrait de cette grille. Je me bats depuis 30 ans pour revoir l’utilisation de cette sécurité sur les convoyeurs ! » Il était donc indispensable de trouver des solutions, non pas adaptées à un texte de loi mais adaptées à ceux qui utilisent et réalisent l’entretien des convoyeurs (nettoyage, maintenance). La conformité réglementaire ne suffit pas : les grilles restent aujourd’hui accidentogènes.

 

Promouvoir les solutions récentes

La norme NF EN 620 avait fait l’objet d’un amendement en 2011 destiné à adapter la norme à la directive « Machines », mais celui-ci n’apportait pas d’évolutions techniques de sécurité majeures à l’égard de la conception des machines. Il apparaissait alors nécessaire de l'actualiser. « En tant que spécialiste de la sécurité sur les convoyeurs, nous avons eu un engagement très important dans la démarche de révision de la norme, explique René Brunone. À partir des constats que nous avons pu faire, nous avons demandé la révision de la norme NF EN 620 pour promouvoir les nouvelles solutions technologiques à l’échelle européenne. » En collaborant avec des organismes majeurs tels que la DREAL, la CRAM et PREVENCEM, mais également avec les utilisateurs finaux des convoyeurs, la société  Brunone a travaillé au développement de solutions pertinentes et efficaces de protection. Emmanuel Deparis ajoute : « L’objectif était de promouvoir les solutions modernes existantes pour l’occupation de volume de la zone dangereuse, à savoir les points rentrants. »

 

Protection rapprochée du rouleau SPAR1 de Brunone.

Le travail de normalisation

C’est la société Brunone qui a été à l’initiative de la révision de la norme NF EN 620. Evolis, en tant qu’organisation professionnelle représentant les fabricants de matériels, s’est notamment associée à de nombreux experts techniques de manière à harmoniser les contributions à l’échelle française. Emmanuel Deparis témoigne : « Les travaux à proprement dit de la révision de la norme ont commencé en 2012. À l’origine, ils avaient débuté avec des experts franco-germano-finlandais, mais d’autres pays de l’Union européenne ont ensuite rejoint le groupe de travail européen. » Le processus de normalisation est un processus itératif : l’entièreté du document n’a pas été réécrite, mais des améliorations ont été apportées que ce soit au niveau des prescriptions techniques que de l’amélioration de la compréhension. « Les débats ont été très longs et parfois virulents sur certains sujets, mais toujours très intéressants avec une grande diversité d’acteurs autour d’une même table. La nouvelle norme publiée en octobre 2021 est la concrétisation de neuf années d’échanges et de discussion. La norme NF EN 620 : 2021 va être proposée à la Commission européenne pour devenir une norme harmonisée et donner ainsi présomption de conformité à la directive "Machines". La réponse est attendue courant 2022 », évoque Emmanuel Deparis.

 

Les pays européens investis

Plusieurs pays européens ont activement participé à la révision de la norme NF EN 620, chacun ayant sa propre organisation et ses particularités. On a pu retrouver dans le groupe de travail européen des représentants français, allemands, finlandais, suédois, anglais et suisses. « Nous avions une belle représentation européenne, avec notamment des profils d’utilisateurs et de constructeurs variés dans différentes applications vrac », explique Emmanuel Deparis. Le CISMA d’abord, puis Evolis, suite à la fusion des entités CISMA et Profluid, ont su rassembler une diversité d’acteurs : les fabricants de machines de carrières ou de convoyeurs de grande longueur, mais aussi le représentant du ministère du Travail, les experts de l’INRS et de la CRAMIF, ont pu apporter leur pierre à l’édifice. La société Brunone, en tant que spécialiste des équipements pour la protection des angles rentrants par occupation de volume, a notamment été un vrai moteur dans cette révision. Le responsable technique d’Evolis ajoute : « Au niveau d’Evolis, nous avons réalisé des réunions préparatoires avant chaque réunion européenne décisive, de manière à présenter des propositions françaises soutenues par l’intégralité des experts français. Cette stratégie nous a aidés à convaincre. »

 

Suppression du risque avec le dispositif SPAR5 de Brunone.

Intégration du concept de zonage

L’une des évolutions de la norme a été de distinguer différentes zones à risques, et d’adapter les mesures de protection des convoyeurs en fonction de ces zones. Cela implique un certain nombre de questions : qui intervient dans un certain périmètre autour de la machine et comment matérialise-t-on le changement de zone ? « Le concept de zonage permet d’avertir les opérateurs que les risques peuvent augmenter en fonction des zones, et que les procédures de maintenance sont plus ou moins exigeantes », déclare Emmanuel Deparis. On distingue désormais les zones de danger, les zones restreintes, les zones de circulation et les zones publiques. « Les zones de restreintes sont plutôt destinées aux personnels d’exploitation habilités à réaliser des interventions et de la surveillance. Les zones de danger sont clairement celles situées tout le long du convoyeur en fonctionnement. Le concept de zones permet d’ajuster les moyens de protection lors de l'analyse de risques qui est faite sur l’installation », ajoute Emmanuel Deparis.

 

Élimination du risque et sécurité rapprochée

Avant même de penser à l’intégration de protections rapprochées sur un convoyeur, il faut commencer par étudier les possibles éliminations des risques. René Brunone témoigne : « L’élimination des risques est une notion sur laquelle nous avons beaucoup insisté lors de la révision de la norme. En supprimant les rouleaux et en les remplaçant par des surfaces de glisse, les angles rentrants qui sont la conjonction d’un mouvement linéaire (de la bande) avec une partie tournante (rouleaux/tambours) disparaissent. C’est le premier travail que nous engageons lorsque nous devons réaliser une remise en conformité. Notamment grâce à nos auges de réception. » La sécurité rapprochée, quant à elle, vise à réaliser une occupation du volume dangereux situé entre les deux éléments en mouvement. « Par une protection rapprochée située à moins de 5 mm du rouleau, la main d’un opérateur ne pourra plus se faire happer. L’avantage de cette solution est qu’elle reste en place, peu importent les interventions à réaliser. » Les aménagements de la norme NF EN 620 concernent principalement les protections rapprochées qui sont  désormais préférées aux carters et grilles usuellement utilisés.

 


 

Peut-on toujours utiliser des grilles ?

Le choix de l’intégration d’un carter ou d’une protection rapprochée ou d’un carter (grille) sur un convoyeur a été défini par la norme. Pour intégrer une grille, le concepteur devra prouver à un organisme de sécurité qu’il s’agissait du seul choix possible au niveau de la conception, et qu’il était dans l’impossibilité d’insérer des protections rapprochées. Il s’agit du seul cas valable prévu par la norme révisée NF EN 620 : 2021.

 

Procédure de mesure pour la protection ou non des angles rentrants

René Brunone explique : « Les protections rapprochées ou les carters ne sont pas exigés si la bande peut se décoller du rouleau d’au moins 50 mm sous un effort  inférieur à 150 N. Ceci ne concerne que les sections droites situées au niveau des postes de travail, en zone de circulation ainsi qu’en zone restreinte. Si cette obligation n’est pas obtenue, comme pour les autres sections du transporteur les protections sont exigées. » La société Brunone a conçu un outil simple intégrant une jauge de contrainte pour permettant très facilement de réaliser cette mesure.