Silos béton préfabriqués en 3D : la solution existe

Le 19/10/2021 à 10:56 par La rédaction

La coopérative de fruits à coques Unicoque et son partenaire en travaux du bâtiment, la SARL Renaud, ont mis au point un brevet de construction de silos béton avec des modules préfabriqués au sol en trois dimensions. Une solution qui pourrait intéresser de nombreux industriels du vrac. Entretien avec Christian Pezzini, ancien directeur général d’Unicoque.

 

Grâce aux plateformes (en bleu), les ouvriers travaillent toujours à portée.

Quels étaient les besoins de la coopérative Unicoque, à l’origine du projet ?

Christian Pezzini : La coopérative de fruits à coques avait pour projet de tripler sa capacité de production, en lançant notamment un grand plan de relance des plantations pour passer de 100 à 500 hectares plantés chaque année et atteindre un potentiel de 10 000 tonnes en 2010, 20 000 tonnes en 2020 et 30 000 tonnes en 2030. En tant que directeur général d’Unicoque jusqu’en 2015, avant mon départ en retraite, j’avais initié le projet que nous avons alors appelé le plan « 10-20-30 ». Nous rencontrions cependant un problème de stockage. Les producteurs n’ont quasiment pas de capacité de stockage, si bien que nous avons dans un premier temps automatisé une ligne afin de gérer près de 10 000 tonnes de stockage rapide de la récolte. Cependant, nous avons depuis toujours l’obligation d’avoir la capacité quasi-totale de stockage de l’ensemble des récoltes de nos producteurs : nous avons donc cherché des solutions, en nous intéressant d’abord au stockage en silos. Les fruits à coques peuvent en effet être stockés en silo si nous prenons les précautions nécessaires lors du remplissage et de la vidange.

 

Pourquoi les silos métalliques ne convenaient-ils pas ?

C. P. : Pour remplir nos objectifs de tracabilité et d’agréage des lots,  nous devions nous équiper de silos de petites dimensions. Nous nous sommes d’abord tournés vers les céréaliers, qui connaissent cette problématique. Les solutions disponibles ne correspondaient pas à nos attentes, puisque nous avons des exigences industrielles et commerciales  très strictes. Nous ne pouvons par exemple par mélanger deux lots qui ne sont strictement pas identiques en termes de qualité. Par ailleurs, les silos métalliques sont souvent disponibles en très grandes dimensions. Et si nous pouvons trouver des petits silos ronds, nous sommes confrontés à un problème de place perdue : en mettant des silos ronds les uns à côté des autres, nous pourrions perdre presque la moitié de la surface exploitable. Nous avons donc réfléchi à l’installation de silos métalliques carrés, mais ils sont peu courants, beaucoup plus onéreux et pas forcément adaptés. En effet, le produit à stocker étant particulièrement huileux, nous devions avoir des silos relativement inertes thermiquement par  rapport aux températures extérieures, qui peuvent être élevées dans le Sud-Ouest. En optant pour des silos métal doublés, le projet perdait de sa cohérence technique et économique.

 

Installation des premières cellules sur le site de Cancon (47). Le projet Unicoque comporte des cellules de 6x6 m et 15 mètres de hauteur.

Comment est né votre partenariat avec la SARL Renaud ?

C. P. : En poursuivant notre réflexion, nous nous sommes intéressés aux silos en béton, qui existent en grandes dimensions dans le domaine céréalier. Nous avions à côté de notre site de Cancon (47) une entreprise de BTP, la SARL Renaud (notre maçon historique pour la réalisation de nos nombreux batiments) qui savait réaliser des modules préfabriqués, mais en panneaux plats. Nous avons échangé avec elle pour réaliser de petits silos sur la base de panneaux plats, mais la solution n’était pas appropriée. C’est ensemble que nous avons eu l’idée de construire des silos béton à partir de pièces fabriquées au sol, en trois dimensions. Nous avons donc travaillé à la conception de modules en X, en T et en L, qui seraient réalisés directement sur site en amont à l’aide de moules adéquats. En étudiant le marché, nous avons pu constater qu’aucune entreprise ne proposait une conception à partir de pièces en 3D. Des solutions existaient pour de petites capacités, mais les éléments étaient boulonnés entre eux et uniquement disponibles pour de petites hauteurs. Il était inimaginable de réaliser 150 silos de 10 mètres de haut de cette manière.

 

Sur quoi repose le brevet que vous avez alors déposé ?

C. P. : En travaillant davantage sur le projet avec notre partenaire maçon et le bureau  d’études agenais ZANI, nous avons constaté qu’aucun brevet n’était déposé pour cette formule originale de réalisation de silos de stockage. Certaines entreprises sont capables de réaliser des silos de stockage en couloir avec des éléments triangulaires ou avec des éléments en 2D, mais pas en 3D. Notre brevet porte donc sur la conception et la réalisation de  silos de stockage de grande hauteur sur la base d’éléments préfabriqués en 3D. La solidité de l’installation est un gros avantage, mais ce n’est pas le seul. Traditionnellement, le clavetage des éléments en béton entre eux, en hauteur, est délicat et dangereux pour le personnel, et notre conception rend le chantier beaucoup moins complexe et sans risque. Nous sommes alors sur un chantier classique, qui ne soulève aucune remarque particulière de sécurité.

 

Où en est le projet que vous avez lancé sur le site d’Unicoque à Cancon ?

C. P. : Notre objectif premier était de trouver une solution adaptée pour notre site de Cancon. Nous avons donc mis en œuvre le brevet et avons commencé le chantier sur site. Nous souhaitons atteindre une capacité de stockage de 30 000 tonnes à l’horizon 2030, via la construction de 144 cellules de stockage. Nous avons déposé un permis de construire sur 20 ans et nous souhaitons fabriquer successivement des ensembles de cellules de stockage selon l’évolution réelle du tonnage annuel apporté par nos producteurs. Actuellement, les 24 premières cellules sont en cours d’installation. Le chantier est opérationnel et nous fabriquons les modules préfabriqués à partir de graviers et ciment vrac amenés directement sur site par la route, par camions de gabarit normal, ce qui offre une grande souplesse logistique. Les pièces en béton sont coulées dans des moules réalisés par les soins du maçon avec l’aide des Ets LEGER situés sur la même commune. Elles sont ensuite démoulées puis mises en place après séchage, à l’aide d’une grue de grande capacité. Des plateformes métalliques superposées sont installées à l’intérieur des cellules de manière que les ouvriers travaillent toujours à portée, et non pas depuis une nacelle ou une échelle. Elles sont déplacées à l’intérieur des silos et déplacées au fur et à mesure du montage des éléments. Nous n’en parlons plus comme d’un rêve, mais comme une réalisation possible !

 

Avec ce procédé, les dimensions maximales des cellules sont de 11x11 m pour une hauteur maximale de 15 mètres.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières lors de l’installation ?

C. P. : Lorsqu’on met un projet aussi nouveau en œuvre, nous nous attendons généralement à de mauvaises surprises. Ici, tout s’est passé comme prévu tant la conception par David Renaud a été précise et pertinente. Le projet a été bien conçu, nous n’avons pas réalisé d’erreurs et aucune modification importante n’a été nécessaire. Seule la grue, que nous avions sous-dimensionnée, a été changée à trois reprises, car elle perdait trop vite en capacité de levage lors du travail en hauteur. Le chantier a débuté il y a maintenant deux ans et la première tranche du projet, qui est la construction des 24 cellules, devrait se terminer d’ici la fin de l’année 2021. La partie manutention des récoltes, spécifique à la coopérative, viendra dans un second temps, sous sa propre responsabilité.

 

Quels avantages pourraient tirer les industriels du vrac de cette conception innovante ?

C. P. : Notre solution peut apporter de nombreux avantages par rapport à des silos métalliques qui se trouvent sur le marché. Contrairement à ces derniers, qui peuvent être ondulés et équipés de renforts métalliques, les cellules ont des parois complètement lisses : cela permet d’éviter les résidus de produits et les risques d’infestation par les insectes. De plus, cette solution avec préfabrication au sol rend le montage du silo extrêmement rapide car les phases de séchage des éléments en béton armé sont réalisées en temps masqué, au sol, sans contrainte ni perte de temps des équipes de montage. Le manutentions restent très localisées autour de chantiers sans contraintes particulières sur les voies routières locales (pas de transports spéciaux, hors gabarit par exemple). Par ailleurs, les cellules sont construites avec du béton armé étanche et lisse, ce qui permet aussi bien de stocker des graines que des fruits à coques, des céréales ou de la poudre. Les cellules étant étanches à la pluie sur leur partie haute, elles pourraient également accueillir des liquides si elles étaient étanchéifiées sur leur partie basse. Autre avantage : du fait de la résistance mécanique d’une telle construction, il est possible d’avoir une cellule vide à côté d’une cellule pleine, ce qui n’est pas toujours possible avec des silos métalliques qui subissent de grosses torsions lors des manutentions. Enfin, la durée de vie d’un équipement béton est très longue. L’installation peut résister plusieurs décennies, contre sept à dix ans pour certains silos métalliques.

 

À quelle échelle un tel investissement est-il rentable ?

C. P. : Le chantier que nous avons enclenché chez Unicoque est original et nouveau dans le domaine de l’agriculture ; les céréaliers utilisant souvent des solutions plutôt très bon marché. Cependant, les industriels du vrac peuvent aussi stocker des produits plus sensibles, qui ont une belle valeur ajoutée. C’est notamment le cas avec la tendance bio, qui implique un stockage en petits volumes et une plus grande traçabilité et un plus grand respect de l’intégrité du produit stocké. Sur le site de Cancon, la solution mise en place était globalement trois fois plus chère que l’installation de cellules carrées en tôles double paroie isolées, mais les deux approches sont difficilement comparables du fait des écarts de durée de vie du système de stockage. Des coopératives ou industriels qui ont des planifications sur de longues périodes peuvent avoir des investissements avec des rentabilités sur 20, 30 ou 40 ans, ce qui rend le surcoût parfaitement supportable .

 

Si un industriel du vrac souhaite profiter de cette innovation, comment peut-il s’y prendre ?

C. P. : Si un utilisateur-industriel est intéressé par notre solution brevetée, deux options sont envisageables. D’abord, il peut directement se tourner vers l’entreprise Renaud pour la réalisation d’un projet complet. Il faut cependant savoir que le chantier déjà mis en place à Cancon est très prenant pour les équipes de cette petite SARL. Cette dernière pourrait être amenée à réaliser un nouveau chantier, mais selon un calendrier particulier et dans un rayon géographique limité. La seconde possibilité est de proposer un droit d’usage du brevet pour un projet déterminé, à réaliser par une entreprise en maçonnerie possédant les compétences et les matériels nécesaires.  Sous la supervision technique de la SARL Renaud et de son jeune dirigeant, des sociétés de maçonnerie externes pourraient réaliser le chantier. Nous restons très flexibles à l’égard de telles demandes. Nous sommes là pour faire profiter à un industriel d’un savoir-faire particulier. Les entreprises du BTP ont des projets parfois plus lents à réaliser, avec beaucoup de manutention et des accidents lors des réalisations en hauteur : notre brevet pourrait les intéresser. Aussi, ils pourraient potentiellement répondre à des appels d’offres grâce à nos solutions et notre accompagnement dans la mise en œuvre.

Sur demande, le chantier est visible à Cancon (47290).